Texte de l'article publié dans la revue Ailes Magazine, numéro 194 de Mars/Avril 2002
Depuis un an et demi, un nouveau concept de vol libre est expérimenté dans le Sud-Est de la France. Début 2000, Laurent Besset découvre sur le Web l'existence des ballons MIR (Montgolfière Infra Rouge du CNES qui permettent d'emporter de lourdes charges dans la stratosphère en utilisant l'énergie du rayonnement thermique du soleil). Puis il fait connaissance de Gérard AUVRAY et de Jean-Paul DOMEN, inventeur de la Bulle d'Orage et de la montgolfière solaire de loisir. Alors Laurent, ancien pilote de delta et de parapente, se met à rêver au vol libre sous ballon solaire... vol sans aucune consommation d'énergie, dans le silence complet, simplement porté par les vents...
Après des essais avec des ballons de 4m de diamètre puis de 11m, un
ballon de 14,5 m de diamètre est utilisé pour le vol humain : 1700m3 de
volume, plus de 20 m de haut, charge utile maximale : 120 kg. L'enveloppe
du ballon solaire est constituée d'un film plastique noir de 20 microns
(plus fine que les sacs poubelle de 50 litres !). Les 16 fuseaux sont
thermosoudés entre eux puis la soudure est renforcée d'une bande d'adhésif.
Au bas de l'enveloppe un cercle de charge est fixé sur lequel sont attachées
les suspentes d'une sellette de parapente. Au sommet un trou de 5,5m dans
l'enveloppe est bouché par une soupape que le pilote peut ouvrir (ouverture
fine pour le pilotage vertical, grande ouverture pour l'atterrissage).
A l'équateur, 2 ouïes ou panneaux de rotation permettent de réorienter
le pilote dans l'axe du vol. Ces panneaux sont également utilisés pour
dégonfler finement le ballon.
Emporté par le vent, le pilote ne peut décider
que de son niveau de vol. Plus près du sol, vents plus lents, brises de
pente. Plus haut, vent météo.
De prototype en prototype, d'essai en essai, le moment crucial du premier vol
libre humain sous un ballon solaire est arrivé. Pour trouver les conditions d'ensoleillement
nécessaires ainsi que de grands espaces propices aux essais, une équipe est partie
pour les fêtes de fin d'année en Mauritanie.
Logistique "béton" avec un camion de transport de troupes transformé en "camping-car",
radios, appareils photos, caméra, GPS, outillage électrique, ordinateur complet
et un convertisseur 24V/ 230V pour assurer l'alimentation électrique. Frédo, le
propriétaire du camion, est un habitué des voyages en Afrique. Il va nous faire
découvrir toutes les facettes des déplacements dans ce pays : conduite sur route
en "tôle ondulée", dans le sable, sur les cailloux ; traversées de dunes, réparations
chez les mécaniciens mauritaniens, réparations des aménagements intérieurs fortement
sollicités par les secousses.
Le 28 Décembre les conditions sont enfin réunies pour un premier vol. A peine
une heure après le lever du soleil, le ballon est prêt au décollage. Laurent s'installe
dans la sellette. Le lest d'amarrage est enlevé. D'importantes modifications ayant
été faites avant le départ, la première partie du vol se fait en captif pour vérifier
l'efficacité des commandes de pilotage du ballon. OK. La corde d'amarrage est
détachée. Le ballon monte doucement. Largage de lest pour passer la première dune.
A 20-30m sol, le paysage panoramique est déjà superbe : plaine désertique parsemée
de cordons de dunes et parfois de petits épineux. Tellement en contemplation,
Laurent oublie de consulter le vario... le ballon descend... vite... largage de
lest... le ballon remonte... les épineux sont évités. Après un vol de 1km300,
Laurent ouvre en grand la soupape au sommet du ballon. Descente rapide sur le
point d'atterrissage choisi : le sommet d'un cordon de dune. Le ballon se dégonfle
rapidement sur place. Premier vol libre réussi !.
Emmanuel, astrophysicien et passionné de ballon solaire depuis 1993, rêve d'un
vol au-dessus du Richat : volcan avorté qui, avec l'érosion, laisse apparaître
aujourd'hui de grands reliefs concentriques sur un diamètre d'environ 45 km.(Photo
Richat vue satellite)L'accès au Richat se fait en traversant plusieurs passes
ensablées qui permettent de franchir les anneaux concentriques. Grâce au pilotage
de Frédo et à plusieurs séquences de gonflage/ dégonflage de tous les pneus, notre
lourd véhicule arrive au centre du Richat. Le 2 janvier, nous réussissons notre
plus beau vol : le survol du Richat. Durée de vol : 1h 15 ; distance parcourue
en ligne droite : 7km ; altitude maximum atteinte : 140m sol. Nous sommes installé
dans un lac asséché d'environ 400 hectares... de quoi poser un Boeing ! nous profitons
de ce grand espace pour inaugurer une nouvelle technique de décollage. En effet,
en vol captif, le vent, même léger, déforme le ballon comme une voile de spi.
Nous avons dû annuler plusieurs vols à cause de cet effet spi.
Aujourd'hui, dès le pilote installé, nous laissons dériver le ballon avec le vent
pendant tout le temps nécessaire pour que le soleil réchauffe suffisamment l'air
à l'intérieur du ballon. Après 300m pendant lesquels le pilote accompagne le ballon
en marchant, ça décolle enfin ! La traversée de la plaine est longue avec un changement
à 90° de l'orientation du vent. L'altitude du premier anneau du Richat s'avère
importante...il faut prendre de l'altitude rapidement... Tous orifices fermés,
le ballon monte à 1 m/s. étonnant de découvrir en vue aérienne sur cette crête
montagneuse, les traces d'un fort certainement construit par les portugais qui
au XV ème siècle commerçaient beaucoup avec les caravanes de nomades. La crête
passée, le ballon redescend vite... trop vite... les rochers approchent... heureusement
la trajectoire commence à tangenter la pente... après un "touch and go" (toucher
le sol et repartir) sur un rocher le vol se poursuit. Reprise d'altitude et poursuite
de la progression vers l'extérieur du Richat. Encore 2 "touch and go" dues à des
descentes mal contrôlées. A 800m du dernier anneau, le vent cale et après une
période de vol stationnaire, l'atterrissage est commandé. 5 minutes plus tard,
la liaison radio est établie avec le camion et la position est transmise. Guidé
par le GPS, le camion mettra 30 minutes pour rejoindre le ballon en passant plusieurs
passes dans les collines et en franchissant des zones ensablées particulièrement
profondes. Il est 11heures. La température augmente très vite. A 37°C, il est
temps de replier car l'enveloppe du ballon devient brûlante et risque d'être détériorée.
Nous sommes préoccupés,
même un peu démoralisé par les descentes quasi irréversibles qui sont survenues
pendant ce vol. Est-ce le "talon d'Achille" de notre projet ? Nous nous plongeons
dans les livres pour découvrir que ce phénomène appelé "descente froide" (voir
encart) est bien connu des aérostiers. Nous avons échafaudé des interprétations
et des pistes de recherche... mais les 2 vols suivants s'ils permettent à Séverine
et à Emmanuel d'effectuer de beaux vols ne sont pas exempt de "descentes froides"
malgré les efforts pour éviter des vitesses verticales négatives !
Finalement, c'est en étant extrêmement vigilant à ne pas atteindre le seuil maximum
de dégonflage du ballon avant descente froide que Laurent le 8 Janvier réalise
un vol de 3 km pendant lequel le ballon oscillera entre 30m et 150m sol. Encore
un vol superbe avec un survol d'une plaine sablonneuse parsemée d'épineux. Parfois
un campement de nomades est visible... mais c'est surtout le grand calme qui étonne...
silence en bas... silence en haut et un déplacement doux qui laisse le temps de
contempler le panorama. Raphaël, rejoint le ballon en paramoteur et fait des prises
de vue en vol. De retour en France, nous avons beaucoup de projets avec une priorité
donnée à la sécurité : il devient indispensable pour réaliser des vols en altitude de s'équiper
d'un parachute (éventuellement à extraction rapide).
Il faut rappeler que cette recherche n'a aucune ambition commerciale
et que tous les détails de cette aventure sont sur le Web depuis les conseils
de réalisation, d'utilisation, les comptes-rendus des essais, etc. L'énergie
solaire est une énergie fabuleuse gratuite, renouvelable qui peut maintenant
aussi nous permettre de voler à un moindre coût !
L'équipe qui réalise ces essais recherche un moyen économique et simple
d'accéder au monde des "plus légers que l'air". Faible coût tant en équipement
qu'en utilisation :
- matériaux d'usage courant et peu coûteux : adhésif 3M, jante de vélo,
collier de serrage type Serflex, sellette de parapente, etc.
- autofabrication accessible à tout bricoleur grâce aux conseils précis
du site Web,
- utilisation d'une énergie gratuite et renouvelable : le rayonnement
thermique du soleil,
- équipement minimum, simplicité maximum, autonomie maximum,
Tout cela pour accéder à un espace de liberté, de paix, de contemplation
de la nature dans le silence (sans brûleur, ni vitesse air).
Le phénomène est connu des aérostiers et même utilisé pour obtenir des
descentes très rapides lors d'accident nécessitant un atterrissage dans
les plus brefs délais, lors de vols en montagne, lors de compétitions
ou pour établir des records (Michel Arnould a atteint la vitesse de
-20m/s en 1977/78).
La descente froide apparaît lorsque le ballon a été trop dégonflé ou
s'est trop refroidi. Le ballon amorce une descente avec une vitesse
croissante même si tous les orifices sont fermés. La descente s'accélère
de plus en plus puis se stabilise à une valeur dépendant du profil,
de la charge et de l'altitude.
Cette descente froide est due à :
- un volume insuffisant pour la charge,
- un volume du ballon qui diminue proportionnellement à l'augmentation
de la pression atmosphérique,
- un volume du ballon qui diminue du fait de la déformation importante
du bas du ballon liée à sa vitesse descendante (bas de l'enveloppe comprimé),
- un différentiel de température entre l'intérieur et l'extérieur qui
diminue à mesure que le ballon entre dans un air extérieur de plus en
plus chaud en se rapprochant du sol,
- un refroidissement de l'enveloppe par le flux d'air,
- une forte inertie de la masse d'air (plus de 2 tonnes d'air dans l'enveloppe
!) en mouvement descendant.
Les aérostiers peuvent freiner ou même stopper la descente froide à
coups de brûleur pour réchauffer l'air à l'intérieur de la montgolfière.
Pour le ballon solaire, l'entrée d'air par la bouche inférieure ne suffit
pas à rétablir le volume du ballon et le soleil est trop lent pour réchauffer
l'air intérieur. La vitesse verticale se stabilise aux environs de -2,7
m/s. Il faut agir très vite. Plus on agit tôt pour s'opposer à la descente,
et plus c'est efficace et rapide. Il faut donc alléger la charge par
le largage de lest (sacs de sables suspendus à côté du pilote).
Vu d'Europe, notre vision de la Mauritanie était faussée : image d'un
pays plat toujours au soleil. La première semaine nous a fait perdre nos
illusions : une journée nuageuse, une journée de vent de sable, des changements
de vents à 180° en 10 minutes et presque tout le temps un vent léger qui
ne permet pas de gonfler le ballon solaire. De plus, l'interprétation
aérologique d'un site est difficile : tenir compte des alizés (vents de
Nord-Est), tenir compte des reliefs qui dans la région d'ATAR peuvent
atteindre 500m au-dessus des plaines. Ce n'est que la dernière semaine
que nous trouverons dans le haut de la Vallée d'Azougui une aérologie
beaucoup plus proche de ce que nous connaissons dans les Alpes : brise
descendante et brise montante, peu d'incidence des alizés. Le séjour se
termine par plusieurs journées de ciel bas, pluie et vent de sable !
Le contact avec les Mauritaniens et particulièrement avec les nomades
est difficile : "Donnes-moi cadeau ! " sont souvent les seuls mots connus
en français ! Demande bien compréhensible quand on constate l'extrême
dénuement dans lequel ils vivent : seulement une théière, une casserole,
une bassine, quelques bidons, quelques boites, quelques verres, une tente
ou une hutte en branches et quelques animaux...
Dans ces
conditions, les objets les plus convoités sont les bidons, les ficelles,
les cordes, les vêtements et même le troc fonctionne bien. Nous échangeons
un bidon contre une pointe de flèche préhistorique... Frédo distribue
le stock de vêtements qu'il a amené de France. Les ballons de baudruche
ont beaucoup de succès auprès des enfants.
Voyage : Point Afrique organise deux vols charters par semaine vers ATAR
au départ de Paris et Marseille. Attention, vous n'avez droit qu'à 13
kg en soute et la surcharge se paie 5 Euros le kilo. A signaler : enthousiasmé
par notre projet, le responsable de Point Afrique nous a offert le retour
du ballon solaire !