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mis à jour le 02.08.2011    carte du site    E-mail

Bulle d'orage

article de X-Passion n°12 de 1994-1995 :

Une montgolfière stratosphérique gonflée à l'orage

Rester à plus de 10 000 m d'altitude sans aucun moteur, ni flamme, ni hélium, ni hydrogène. Voilà un rêve bien utopique! Et pourtant notre nouvelle montgolfière est capable de telles performances. Elle est remplie d'air chaud et humide et reproduit les conditions thermodynamiques qui permettent aux nuages orageux de ne pas nous tomber sur la tête.

Un ballon gonflé à l'air chaud et humide

Le principe

Un professeur de physique, à qui j'exposais le projet, m'a dit un jour : "chaud, je comprends, mais humide, pourquoi?". C'est parce que nous espérons recueillir la chaleur latente de vaporisation de l'eau. Plus précisément, en montant (notre ballon est rempli d'air chaud et a donc tendance à s'élever dès le départ), le mélange intérieur va subir une détente; il va donc se refroidir et l'eau contenue sous forme de vapeur va se condenser. Il y aura donc un dégagement de chaleur qui va freiner le refroidissement du ballon.
Ainsi, pour une ascension de 1000 m, la détente (adiabatique) refroidirait une montgolfière classique de 10°C, alors que notre ballon ne perd que 2 à 4°C par kilomètre, suivant la quantité d'eau contenue au départ. Il y a donc refroidissement du ballon, mais l'atmosphère voit dans le même temps sa température diminuer de 6,5 °C.
Conclusion : si notre ballon est plus chaud que l'air extérieur, il montera et la différence de température ne cessera de croître tant que l'atmosphère se refroidit, ce qui est le cas jusqu'à l'altitude de 12000 m (tropopause). Il pourra ainsi facilement atteindre cette altitude, et ce sans utiliser de technologies complexes : Bulle d'Orage est très facile à réaliser.

L'enveloppe

Un vol nous a permis de valider nos prévisions; la température à l'intérieur du ballon reste raisonnable : elle varie entre 0 et 40°C. A l'inverse des ballons à gaz, notre montgolfière est ouverte à sa base et ne subit donc aucune surpression: nous pouvons alors utiliser un film plastique très fin (8 µm) et surtout très léger. L'absence de contrainte élevée nous permet aussi d'utiliser du simple ruban adhésif identique à celui utilisé pour les cartons d'emballage pour assembler les parties du ballon. Notre enveloppe ne pèse donc que 10g au mètre carré au lieu de 50 à 100g pour les ballons à gaz ou montgolfières à toile. A titre d'exemple, un ballon de 10m de diamètre ne pèse que 2kg et un de 17m pèse 14kg. Les photos permettent d'en constater la légèreté. Nous utilisons un plastique noir fourni par Bolloré Technologie, pour recueillir aussi l'énergie rayonnée par le soleil, qu'il serait dommage de ne pas récupérer.
Notre enveloppe ne supporte pas les températures extrêmes, mais elle n'y est jamais soumise: notre gonfleur fourni de l'air saturé en eau à seulement 40°C contre plus de 120°C pour les montgolfières classiques.

Le gonfleur

Il est constitué de brûleurs industriels fournis par la société Saulnier-Duval sur lesquels on vaporise de l'eau. Ceux-ci doivent avoir une puissance relativement élevée. En effet, si l'on souhaite gonfler notre ballon en moins de 10 minutes (durée pendant laquelle il est raisonnable d'espérer ne pas avoir de rafales de vent), il faudra évaporer la quantité d'eau correspondante dans le même temps. Et il s'agit de 30kg d'eau pour un ballon de 10m de diamètre rempli d'air saturé à 40°C, 200kg d'eau pour un ballon de 17m de diamètre dans les mêmes conditions de température et d'hygrométrie; soit environ 100kW pour le premier et 1MW pour le second, ce qui représente une bouteille de propane domestique en 10 minutes.

Un coût de construction dérisoire

Récapitulons ici les matériaux nécessaires au vol de Bulle d'Orage: un film plastique très peu coûteux (identique à celui des sacs utilisés pour emballer les légumes au supermarché), du scotch marron de déménageur, des bouteilles de gaz et des tubes métalliques pour réaliser le gonfleur qui restera au sol, et qui est réutilisable. On reste bien en deçà du coût d'une montgolfière classique.

Les performances

Les altitudes de vol de Bulle d'Orage impressionnent, surtout lorsqu'on pense à la simplicité de sa réalisation. Nous avons volé au mois de Mai 1993 et obtenu des résultats tout à fait satisfaisants.

40 kg à 12 000 m sous une bulle de 10 m de diamètre

Grâce au soutien du CNES ballons stratosphériques, nous avons pu réaliser un premier vol inhabité. Suspendue sous un ballon de 10m, une chaîne de vol d'une masse totale de 40kg, comportant des capteurs de pression et température, un transpondeur radar (obligatoire pour la navigation aérienne) et un système de localisation (GPS-ARGOS), a été soulevée jusqu'à une altitude de 12000 m.
Le vol a duré environ 3 heures, et la vitesse ascensionnelle a atteint 2 m/s. La température du ballon à l'envol était de 28°C, pour une température extérieure de 14°C. Le ballon a fini son ascension à 12000m où la température extérieure était de -50°C, pour 0°C à l'intérieur.
Encouragés par ces performances, nous avons décidé de construire un ballon de plus grande taille, où les effets de condensation sont beaucoup plus spectaculaires.

Bientôt : 100 kg à 20 000 m

La photo ci-dessus représente un ballon de 17m de diamètre que nous avons gonflé à l'air froid. Dès que le gonfleur approprié sera réalisé, nous pensons pouvoir effectuer un vol jusqu'à une altitude de 20000m avec une charge de 100kg. Avec le soutien du CNES et de radioamateurs extrêmement compétents, nous espérons recueillir suffisamment de données pour pouvoir tenter un vol habité (mais il faudra prendre un nombre infini de précautions, et réaliser une sphère pressurisée de faible poids).

Un record du monde d'altitude en montgolfière

Bulle d'Orage est bien une montgolfière: c'est un ballon à air chaud ouvert à sa base. Mais son principe de chauffage est différent de celui des montgolfières à brûleur; c'est pourquoi il paraît très probable que nous établissions un nouveau record du monde d'altitude.

Bulle d'Orage : un monte-charge (à 25000 m) peu coûteux

De manière plus sérieuse, on peut voir dans Bulle d'Orage un monte-charge peu onéreux pour la haute atmosphère.

Un nouveau véhicule pour les expériences stratosphériques

Avec des performances analogues, mais d'un coût beaucoup plus faible (enveloppe moins épaisse et assemblage plus facile), Bulle d'Orage pourrait emporter les mêmes expériences (Télescope Infra-Rouge, mesure d'ozone et d'aérosols) que les ballons stratosphériques à hydrogène ou hélium. On pourrait aussi penser à l'utiliser pour réaliser un relais de télécommunications temporaire de faible coût (pour une retransmission télévisée par exemple).

Un planeur solaire stratosphérique

Plus amusant encore, pourquoi ne pas emporter un planeur, qui lâché à 20000m, pourrait parcourir une distance de plus de 400km (je parle ici d'un planeur construit en balsa selon les technique de modélisme). On pourrait aussi le motoriser, avec des cellules solaires par exemple. Un dimensionnement rapide permet d'envisager (avec des hypothèses pessimistes) un planeur de 12m d'envergure et de 4kg, muni de panneaux solaires, qui évoluerait à 30km d'altitude, à une vitesse de 100m/s, et qui pourrait se maintenir en vol un ou plusieurs jours.

Un premier pas vers la satellisation ?

Un autre avantage de Bulle d'Orage est que l'on peut imaginer un ballon d'un très gros volume (100m de diamètre) sans contrainte technologique majeure : nul besoin de trouver des quantités astronomiques d'hélium ou d'hydrogène; l'enveloppe qui est très peu contrainte est réalisable, alors qu'aucun matériau ne pourrait résister à la pression d'un ballon fermé. On peut ainsi envisager de soulever plusieurs dizaines de tonnes pour un coût très réduit, à des altitudes où seules les fusées peuvent aller. On pourrait par exemple espérer se passer du premier étage d'Ariane qui pèse 350 tonnes sur 400, et qui ne sert qu'à atteindre la haute atmosphère.

Bulle d'Orage n'en est aujourd'hui qu'à la phase de prototype. Avant d'envisager des applications industrielles, nous cherchons à battre des records et montrer la fiabilité de notre nouveau véhicule. Les projets ne manquent pas, comme vous avez pu le lire.
Nous sommes à la recherche de personnes pouvant nous aider, soit au travers de compétences techniques, ou tout simplement de passion (nous sommes tous des bénévoles amoureux de sciences et d'expérimentation), soit en soutenant financièrement nos projets, dont les retombées médiatiques sont déjà très larges (plusieurs minutes de télévision à heure de grande écoute et articles dans des mensuels scientifiques).

Laurent PAPIERNIK (X92)
Jean-Paul DOMEN
1994-1995

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